Don Quichotte – L’histoire d’un antihéros

D’une manière ou d’une autre, tout le monde connaît le roman « Don Quichotte de la Manche », écrit par Miguel De Cervantes, pilier de la littérature espagnole. Bon nombre de professeurs en suggèrent la lecture aux élèves, mais la plupart du temps ils ne le font pas, découragés par le nombre de pages. C’est dommage car Don Quichotte, indépendamment de ses 415 ans, est un personnage qui peut encore nous enseigner à regarder au-delà de ce qui nous apparaît, en nous invitant à rechercher les nouvelles clés qui se cachent derrière chaque aspect de la vie.
Don Quichotte est un chevalier « sans peur et sans reproche »... ou mieux, il voudrait l’être. En effet, il n’est que le noble Alonso Quichano, qui a hérité beaucoup de propriétés et qui a passé sa vie entière aà lire les livres de chevalerie de sa librairie infinie. Un jour, il tourne la dernière page du dernier livre et prend une décision qui va changer son histoire : lui aussi, il deviendra un chevalier errant qui se battra pour la justice, en aidant ceux qui en ont besoin, en défendant les pauvres des humiliations des puissants, en contribuant à améliorer le monde. C’est un bon programme, n’est-ce pas ?
Pour réussir son projet, il aura besoin d’une armure, du cheval Rossinante, de son fidèle écuyer Sancho Panza et d’une femme à qui dédier ses victoires, Dulcinée. Don Quichotte et Sancho vont vivre de nombreuses aventures, à commencer par la cérémonie d’investiture dans la taverne, puis en continuant ensuite avec bon nombre de malentendus et de combats. Plus encore, l’(anti) héros sera sujet à de multiples bagarres qu’il perdra toujours. En arrière-plan, le paysage laisse place à l’Espagne de son époque.
Cervantes joue beaucoup avec les oppositions, en utilisant la folie de son personnage principal – survenue après la lecture excessive des livres de chevalerie – comme un escamotage. Don Quichotte n’a rien de l’Hèros. Il vit une double vie qui n’existe que dans sa tête : il voudrait être un chevalier errant, mais il n’est qu’un noble déchu. Il a besoin d’un cheval, mais il marchera toujours à dos d’un canasson et il choisit comme écuyer le paysan Sancho, qui ne le suit que pour gagner de l’argent et devenir le gouverneur d’une île. La même dame à qui il dédie ses aventures est une femme de son pays, Aldonza Lorenzo, qu’il appelle Dulcinée du Toboso et qu’il ne rencontrera jamais. Il confond une taverne avec un grand château, prostituées et servantes avec des princesses, moulins à vent avec des géants et troupeaux de moutons avec des armées ottomanes. Ce dernier événement est l’un des plus durs, car il sera battu par les bergers, qui lui feront perdre deux dents et gagner le nom de « Chevalier à la triste figure ».
Par conséquent, pourquoi aimer autant ce personnage ? Don Quichotte est un homme pur, qui a un rêve et beaucoup de courage. Il ne veut pas être connu, il ne recherche pas la gloire, mais il désire faire du bien aux autres, même si ses espoirs lui valent souvent d’être la victime de nombreuses moqueries. On pourrait aussi dire que Sancho est sa contrepartie rationnelle : En effet, il lui suggère plusieurs fois de ne pas attaquer les moulins ou les moutons, craignant le pire pour son compagnon de route. Au contraire, Don Quichotte ne voit pas seulement de simples moulins, mais des géants transformés par un mauvais magicien qui veut le distraire de ses projets.
Dans cette œuvre, Cervantes nous fait également penser à l’importance des Mots, et au rôle fondamental qu’ils jouent dans notre vie. Pour cela, au début, on pense que l’écuyer pragmatique part avec « le chevalier errant », en abandonnant sa femme et ses fils, pour devenir riche et puissant. Pourtant, ce n’est pas la meilleure explication. En réalité, il se fait charmer par les discours du bon orateur Don Quichotte qui, comme il a passé sa vie entière à lire des romans, a appris un lexique et une rhétorique afin de paraître toujours persuasif et conscient de ce qu’il dit. Sancho, totalement fasciné par ses mots, accepte de le suivre dans ses gestes, en le relevant à chaque fois qu’il tombe, désormais bien conscient de la folie du chevalier.
Dans le seconde partie de « Don Quichotte de la Manche », publiée dix années après la première, Cervantes nous raconte que les deux personnages ont repris leur chemin à la recherche de nouvelles aventures. A la fin de ce dernier livre, le chevalier rentre chez lui et, après avoir longtemps dormi, se réveille et retrouve son acuité mentale. Juste après avoir abandonné les vêtements de Don Quichotte et récupéré ceux d’Alonso Quichano, il mourra. C’est le plus beau message que nous donne l’auteur : Alonso vit tant qu’il croît en quelque chose, tant qu’il s’accroche à son rêve avec amour et dévotion. Au moment où il s’éloigne de son imagination, il n’existe plus.
Benedetta Pitocco